mardi 27 octobre 2009

De la dette en France, des agences de notation et du Prix Nobel

La France n’a jamais connu en temps de paix un tel niveau d’endettement, de l’ordre de plus de 70 % du PIB, selon Jean-Marc Daniel, économiste qui donnera une conférence le 23 novembre sur la sortie de crise. Sauf à deux reprises : en 1763 au sortir de la guerre de Sept Ans, et au moment de la Révolution. A titre de comparaison, en 1871, vaincue par l'Allemagne, son taux d’endettement fut de 90% pour financer la guerre et rembourser le vainqueur.

Malgré la dette, la France conserve une bonne notation.

Avec humour, J-M Daniel déclare que s’il y avait eu des agences de notation en 1789, elles auraient sans doute attribué à la France un note triple A car elles auraient estimé les fondamentaux bons mais auraient trouvé, pense-t-il pince-sans-rire, que la prise en compte des droits à retraite des marins n'étaient pas comptablement correcte...!! Les agences de notation se voient reprocher une vision un peu trop étroite de l’état de santé d’un pays ou d’une entreprise. Elles sont même accusées de minimiser à dessein les faiblesses de leur client. On se rappelle ainsi le cas de Lehman Brothers : les agences de notation financière (Moody's, Standard and Poor's, Fitch, …) avaient pendant plusieurs années donné leur meilleur rating (AAA) aux placements de type CDO avant de se rendre compte qu'il fallait brutalement l'abaisser, peu de temps avant sa faillite !

Aujourd’hui, cette dette intervient avec une inflation faible. J–M Daniel considère que ce n’est pas affolant mais préoccupant, dans la mesure où l’État perd en efficacité : chaque année, 55 milliards d’euros, soit l’équivalent de l’impôt sur le revenu, sont consacrés au remboursement des intérêts. On peut aussi penser que la modernisation de l’État pour faire des économies atteint ses limites. Il s’agit maintenant, dit–il, de réfléchir aux dépenses publiques qu’il faut remettre en cause, pour ne conserver que les incontournables.

Tout aussi critiqués que les agences de notation, sont les prix Nobel d’économie. Rappelons que Nobel lui–même n’en voulait pas et que ce qui est appelé ainsi est en réalité le Prix de la Banque de Suède décerné depuis 40 ans seulement. Les 2 derniers Prix « Nobel » Elinor Ostrom et Oliver Williamson ont démontré les limites du tout Marché : la première a démontré comment des biens collectifs peuvent être efficacement gérés par des associations et le second qu’une bonne gouvernance d’entreprise peut résoudre des conflits ou réduire les coûts de transaction mieux que le marché. Est–ce à dire comme certains que crise économique aidant, le « Nobel économique » ne reflète que l’esprit du temps et que les « Prix Nobel d’économie » seraient plus proches de celui de la Littérature que de la Physique ?

Jean–Marc Daniel ne le croit pas mais il dénonce les querelles de chapelle, les positionnements idéologiques dont est victime le débat économique en France. Il rappelle que quand Tony Blair avait déclaré à la tribune de l’Assemblée Nationale en 1998 qu’il n’ y a pas de politique économique de droite ou de gauche mais des politiques qui marchent et d’autres qui échouent, il avait soulevé un tollé ! En France, on est un peu dans une situation comparable à celle de Deng Hsiao Ping déclarant dans la Chine maoïste que l’important pour un chat n’est pas qu’il soit rouge ou noir mais qu’il attrape les souris. En revanche, les résultats obtenus permettent de faire des choix d’affectation et de répartition qui eux relèvent d’une conception de la société et peuvent être qualifiés de droite ou de gauche.

En conclusion, agences de notation et économistes sont accusés de n'avoir ni prévu ni empêché la crise qui a creusé les déficits. En France, les solutions à trouver sont plus ardues à cause de la trop grande politisation du débat. Cela ne fait que refléter le manque dramatique de culture économique dans ce pays… Rappelons pour preuve que la France a reçu 14 fois le Prix Nobel de littérature dont le dernier en 2008 avec Jean-Marie Le Clezio et une seule fois en 1988 (1) celui d’économie !

(1) Maurice Allais fut récompensé pour ses contributions à la théorie des marchés et à l'utilisation efficace des ressources. Il vit aux Etats-Unis. En 1983, fut couronné Gérard Debreu, économiste d'origine française mais nationalisé américain pour ses travaux sur l'équilibre général.

lundi 19 octobre 2009

Obama, les 21 ans d'Al-Quaïda et le Maghreb


Fondée en août 1988 par un serment d'allégeance à son Emir Oussama Ben Laden, Al- Qaïda a fêté ses 21 ans ! Mais y a-t-il une vie pour Al-Qaïda après Obama ? se demande Jean Pierre Filiu, professeur associé à Sciences Po, l’un des meilleurs analystes français du monde arabo-musulman qui donnera le 21 octobre prochain à l'Université Groupama une conférence sur les forces et les faiblesse du Maghreb. Il vient de publier chez Fayard Les Neufs Vies d’Al-Qaïda. Il y retrace l’histoire du réseau terroriste, raconte comme "la base" a réussi à tisser sa toile planétaire à partir du Soudan, décrit sa montée en puissance en Irak après la chute de Saddam Hussein, l'intervention américaine ayant réveillé les vieux démons d'un millénarisme revendicatif, enfin les campagnes d’attentats en Europe et au Maghreb.

Rappelons quelques dates de ses méfaits au Maghreb :
- en avril 2002, attentat contre la synagogue de Djerba (21 morts),
- en mai 2003, série d'attentats suicides à Casablanca (45 morts),
- en janvier 2007, naissance d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique et attentats suicides à Alger en avril et en décembre (30 et 41 morts) ; assassinat de 4 touristes français en Mauritanie,
- en août 2008, nouveaux attentats en Algérie (45 et 12 morts),
- en août 2009, attentat manqué contre l'Ambassade de France en Mauritanie.

En Europe :
- en novembre 2003, attentats à Istanbul (63 morts),
- en mars 2004, à Madrid (191 morts),
- en juillet 2005, à Londres (56 morts),
- en août 2006, démantèlement au Royaume - Uni du "complot transatlantique" et
- en septembre 2007, en Allemagne d'une cellule terroriste liée aux Ouzbekes,
- en juin 20009, attaques verbales d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique contre la France accusée d'être "la mère de tous les vices".

Mais les choses sont peut-être en train de changer. Car pour Jean Pierre Filiu, «le triomphe de Barack Hussein Obama a pris de cours la hiérarchie d’Al-Qaïda, en sapant les évidences de sa propagande». Il convient, certes, d’être prudent. L'universitaire rappelle qu’Al-Qaïda, comme les chats, dit-on, a déjà eu plusieurs vies : 9 en 20 ans ! L'organisation a su ainsi se relever complètement après avoir dû disperser ses troupes à deux reprises, dans les années 1990 d'abord après avoir quitté le Soudan chassée par les autorités locales, puis après les attentats du 11 septembre 2001 et la chute des talibans en Afghanistan, en se réfugiant à la frontière pakistanaise.

Les partisans du «djihad mondial» sont aujourd'hui de plus en plus isolés du monde arabe et l’organisation, repliée dans son sanctuaire des zones tribales pakistanaise, se bat pour sa survie. Son projet est train de perdre son pouvoir hégémonique car il se heurte à la résistance des réalités nationales et religieuses. Enfin, élitiste, cette "avant-arde sans frontière" a toujours refusé et été incapable de créer un mouvement de masse.

Qu’en sera t-il demain ? Pour J-P Filiu, 3 scénarios sont possibles : disparition progressive d’Al-Qaida, éclatement en groupuscules de plus en plus détachés de l'Islam ou «pakistanisation» qui la retournerait contre les hindous, loin de la genèse du conflit : la présence américaine dans les lieux saints et la lutte contre Israël. Sauf si Israël ou les Etats-Unis en attaquant l’Iran offraient à Ben Laden une "divine surprise" et l’opportunité de rebondir une 10ème fois en offrant à ses réseaux de nouvelles possibilités de recrutement contre "les juifs et les croisés".

mardi 13 octobre 2009

La taxe Carbone, l'argent contre l'absenteïsme à l'école et la crèche d'Haïfa.


Jean Marc Daniel, directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, professeur d'économie à ESCP-Europe, qui donnera une conférence à l'Université Groupama le 23 novembre sur la sortie de crise, fut un des premiers à être sceptique sur l'efficacité de la taxe Carbone. Il explique pourquoi grâce à la "parabole de la crèche de Haïfa", une histoire vraie :

A Haïfa, le maire et le responsable syndical se détestent cordialement, bien que du même parti ou sans doute à cause de cela. La mairie a créé une crèche que le responsable syndical va s'employer à utiliser comme arme contre la mairie.
Alors que les parents doivent venir chercher leurs enfants le soir avant 17h, le personnel se plaint de ce que, certains jours, un ou deux parents se présentent avec dix ou quinze minutes de retard.
Le maire, pour éviter que ce phénomène ne prenne de l’ampleur, fait distribuer un court texte rappelant que la ponctualité fait partie des éléments constitutifs de la vie en société. Et de fait, le nombre de retard se réduit.
Mais le personnel continue à se plaindre de deux ou trois irréductibles.
Le maire décide de prendre le taureau par les cornes et arrête que les parents paieront une amende selon un barème progressif par heure de retard. Toucher au portefeuille devrait être selon lui un moyen suffisamment dissuasif.
Le résultat obtenu fut exactement le contraire de celui qui était attendu : la crèche fut pleine jusqu'à des heures indues ! En fait, les parents ont jugé que payer l'amende leur coûterait moins cher que d'avoir à garder les enfants à la maison. En plus, payer l'amende leur donne bonne conscience et justifie leur incivisme : puisqu'ils paient, la municipalité peut bien étendre les plages horaires de la crèche...

De même, dit Jean Marc Daniel, le pollueur poussé à une certaine discipline par sa prise de conscience des problèmes de l’environnement, se trouve libéré de toute contrainte morale dès lors qu’il devient payeur sur la base d’une évaluation faite par l’Etat. La taxe écologique gomme la référence citoyenne et annihile la prise de responsabilité éthique. Pour les économistes, les bonnes intentions fiscales se retournent souvent contre ceux qui les usent et en abusent.

On peut étendre le même raisonnement au projet de Martin Hirsch de prime d'assiduité scolaire (1). On a alors un syndrome de la "crèche d'Haïfa" inversée : en choisissant de verser une prime (et non de supprimer les allocations familiales ou de faire payer une amende (2) !) pour lutter contre l'absentéisme à l'école, on peut obtenir tout aussi sûrement le même effet contraire à celui espéré : en l'absence de toute contrainte de résultat scolaire et de toute sanction effective, beaucoup risquent de jouer une variante de la crèche d'Haïfa scénarisée par Woody Allen : "Prends l'oseille et tires-toi !" Amende = crèche pleine et Allocation = école vide ?
Pas plus qu'on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on ne fait pas de bonne politique économique !

(1) 3 lycées professionnels de l'Académie de Créteil octroient une allocation destinée à financer des projets éducatifs versée sous condition d'assiduité aux cours. Rappelons aussi que la prime d'assiduité existe encore dans certaines entreprises et a été supprimée il y a quelques années à Groupama !
(2) En 2002, la lutte contre l’absentéisme est inscrite parmi les objectifs de la loi sur la sécurité intérieure. Le principe de la suspension des allocations familiales est supprimé. au profit d’une amende de 4e classe (750 €) afin de sanctionner plus sévèrement le non respect de l’obligation scolaire. On serait curieux de connaître combien d'amendes ont été infligées et quel est l'impact de cette disposition apparemment toujours valide.

lundi 5 octobre 2009

"Et moi, et moi, et moi " : Travail et individualisme.


En 1967, Jacques Dutronc chantait "2 milliards de petits chinois et moi, et moi, et moi ..."

A l'époque, cette chanson se moquait des engagements politiques de la génération qui allait devenir un an plus tard plus connue sous le nom "soixante-huitarde". Ce qui était une chanson ironique d'un artiste individualiste semble devenu le cri de ralliement de la génération actuelle. Elle était en quelque sorte prémonitoire !

Selon Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit du travail à Sciences Po et à la Sorbonne, nous assistons à une double crise du pouvoir : crise de l'autorité et crise de la représentation.

La crise de l'autorité est générale : crise de l'autorité parentale, crise de l'autorité professorale (aujourd'hui quand on dit "maître", on pense à maître-chien !) et crise intellectuelle (il n'y a plus de maîtres à penser et s'il y en a, ils sont dénoncés vivement). Aussi n'est-il pas étonnant que pour les jeunes générations tout se négocie - cf d'où les formations 1 soir 1 jour sur la négociation - et qu'il n'y ait pas d'autorité qui ne doive se justifier, se démontrer. On est passé d'un monde où l'autorité était acceptée quasi -militairement "sans hésitation et sans murmure" à un monde où tout passe par la communication et la démonstration.

Cette crise se double d'une crise de la représentativité : syndicale ou politique, toute autorité est contestée et pire débordée. D'où en contrepartie de la faiblesse de la représentativité des syndicats, des partis politiques, la montée de mouvements "autonomes", des grèves "sauvages", du nombre des abstentionnistes aux élections, des initiatives de "votation populaire" ou des actions "spontanées" coordonnées sur le net.

En conclusion, selon J- E Rey, le droit du travail semble connaître une grande remise en cause : fondé sur un lien de subordination qui caractérise l'entreprise, est-il appelé à disparaître et à être remplacé par le droit civil contractuel entre citoyens égaux et responsables ? Va-t-on passer de l'Etat de Droit à l'état des droits ?