mardi 29 septembre 2009

Le Travail reste-t-il une valeur ?


Et si votre contrat de travail se transformait en contrat de mariage ?

Ce sous-titre d'un film américain qui vient de sortir est-il involontairement révélateur de la valeur variable accordée au travail selon les pays ?

Un des paradoxes sur la valeur travail que soulignent les enquêtes internationales est le suivant :
La France est un des pays où la durée de travail est la plus faible du fait de la législation sur les 35 heures auxquelles s’ajoutent des congés payés importants sans compter les jours de grève. Or la France est aussi le pays où l’attachement au travail est le plus élevé : l’idée qu’il est un facteur clef d’épanouissement personnel y est très développée. Cela tient à ce que Philippe d’Iribarne, intervenu à une conférence de l’Université Groupama en 2005, a appelé la logique de l’Honneur. Les Français semblent marqués par la logique pré-industielle à la fois aristocratique et artisanale du travail bien fait. Notre système d’enseignement méritocratique et élitiste n’est sans doute pas non plus étranger à un état d’esprit individualiste : être le meilleur.

Toujours est il que le travail lui-même est en pleine évolution : de plus en plus dématérialisé et collectif, anonyme et transversal, renouvelé et transformé sans cesse, infini et immatériel, il ne procure plus ce sentiment individuel de certitude apaisée et de récompense que donnait le produit concret fini.

En outre Philippe d’Iribarne montrait bien que la logique de l’Honneur s’oppose à celle du service à la clientèle. Le produit doit être le meilleur possible techniquement, tant pis si le client n’y comprend rien ou n’est pas satisfait : c’est à lui à s’adapter ! Or nous sommes passés à l’industrialisation des services de masse où le service à la clientèle doit être en même temps de plus en plus personnalisé et individualisé. Tel est l’enjeu et la difficulté.

D’où ce sentiment de malaise particulièrement sensible en France car il se double d’une crise que traverse l’attachement à l’entreprise. Les Français qui ont longtemps mis en doute la légitimité de l’entreprise sont en contrepartie d’autant plus attaché à leur métier. Or il n’est plus de métier stable pas plus que d’entreprise pérenne pour la vie.

Les générations XY 2.0 ont bien compris ces changements : elles semblent moins attachées au travail et à l’entreprise car elles privilégient leur vie privée. Mais elles sont aussi plus exigeantes sur les conditions de travail car elles privilégient leur carrière qu’elles ne considèrent plus comme attachée à une entreprise à vie.

Sont-elles alors si différentes des générations précédentes ? La valeur du travail reste aussi forte mais elle n’est plus attachée à une seule entreprise. Cela peut conduire à la création de sa propre entreprise, au télétravail voir à l’expatriation …

Au fond ce qui est en jeu, c’est la notion de fidélité : quand le client lui-même est infidèle, quand le consommateur zappe et choisit le moins cher au détriment de l’emploi national, pourquoi les jeunes salariés seraient–ils fidèles à leur entreprise nationale, a fortiori internationale ?

Pour comprendre ce « malaise dans la civilisation » qui n’est pas propre à la France mais que les Français, toutes générations confondues, ressentent peut être d’autant plus fortement qu’ils restent attachés à la notion de travail bien fait et épanouissant, on a besoin d’un cadrage plus large que les simples études sur la valeur travail, fussent–elles internationales.

Vu sous un grand angle sociologique, ce qui est en cause, c’est la notion de contrat. En dehors du contrat de travail, le contrat le plus important est le contrat de mariage. Or ce dernier est mis à mal non par le divorce parce que le divorce en général remplace un contrat par un autre mais par la pratique de plus en plus répandue du concubinage ou du PACS qui supprime ou atténue l’engagement contractuel. Pourquoi les jeunes Français qui répugnent à s’engager à vie avec une seule et même personne, s’engageraient-ils à vie avec une seule et même entreprise ? C’est la notion elle même toute entière de Contrat social qui s’affaiblit devant la montée des individualismes, des communautarismes et des incivilités.

On voit en fait, malgré la mondialisation apparente, combien les variables culturelles sont déterminantes pour expliquer des phénomènes en apparence identiques. Ainsi, aux Etats-Unis, la rupture du contrat de travail est aisée de même que le divorce : on se remarie facilement comme on retrouve en principe facilement un nouvel emploi et employeur. En France, au contraire, on dénonce la précarité professionnelle tout en l’érigeant en règle de vie privée ! En fait ce qui pose problème, c’est le D de CDD, le D de Déterminé. Gageons que si le PACS avait été un CDD, il aurait soulevé des boucliers de protestation au lieu d’être le succès que l’on sait. Quand la recomposition professionnelle sera-t-elle admise comme les familles recomposées ?

lundi 14 septembre 2009

Crise = Opportunités ? Un poncif du management !


Maurice Thévenet, lors de sa conférence donnée à la dernière Convention RH de Groupama, consacrée à la gestion de crise, déclarait avec beaucoup de bon sens qu'un lieu commun des discours sur le management est de gloser sur la capacité d'adaptation des Chinois en énonçant que "crise" en chinois signifie "opportunité" ce que personne ne peut en général vérifier !
Qu'en est -il exactement ?

Comme bien souvent en chinois, les noms communs sont composés de deux caractères. Crise en pin-yin se dit "wei-ji".
Le premier caractère wei a le sens de danger.
Le second caractère ji a plusieurs sens :
1. machine
2. avion
3. occasion / chance

On peut raisonnablement éliminer les deux premiers sens ! Le mot "crise" en chinois est donc composé de la juxtaposition des deux caractères danger et occasion/chance. Cet idéogramme ne signifie pas non plus "opportunité", ce dernier mot s'écrivant différemment. Seule une forme du mot opportunité comporte le même caractère chance, aucune ne comporte le sinogramme danger.

Revenons donc au mot crise. Comment interpréter cette juxtaposition ? L'ordre chinois des caractères est déterminant. ll faut donc comprendre cette juxtaposition dans le mot crise comme étant une occasion (chance au sens anglais) d'un danger, en clair la survenance, l'occurrence d'un danger, mais aucunement le danger qui se transforme miraculeusement en chance !

Au contresens linguistique chinois s'ajoute donc pour les Français un autre contresens en anglais car le mot y est neutre et a le sens de hasard, possibilité.

La métaphore était jolie mais, bien que largement colportée, elle ne tient pas l'analyse linguistique. Elle semble faire partie des "belles histoires" qui se propagent dans les séminaires de politique ou de management multiculturels... Comme le signale le Washington Post après un discours de Condoleezza Rice au Proche-Orient : Victor H. Mair, a professor of Chinese at the University of Pennsylvania, has written on the Web site http://pinyin.info, a guide to the Chinese language, that "a whole industry of pundits and therapists has grown up around this one grossly inaccurate formulation." He said the character "ji" actually means "incipient moment" or a "crucial point."Thus, he said, a "wei-ji "is indeed a genuine crisis, a dangerous moment, a time when things start to go awry."
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/01/18/AR2007011801881.html

Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que l'interprétation positive est d'autant plus crédible qu'elle est conforme aux stéréotypes que l'on se fait des Chinois. On les imagine volontiers comme des êtres indifférents à l'adversité, capables d'une grande souplesse et de rebondissements grâce au Ying et au Yang... par rapport à nous autres pauvres occidentaux, rigidifiés et culpabilisés par 2000 ans de dogme judéo-chrétien. Crise = douleur et punition chez nous !

Si la Chine sort renforcée sur la scène internationale à l'issue de cette crise (ce qui reste à prouver), ce sera probablement plus pour des raisons liées à la politique économique volontariste puissante de ses pouvoirs publics, donc à l'ampleur des moyens financiers mis en jeu (1) que par une quelconque prédisposition culturelle à transformer toute crise en opportunité.

"Crise = opportunité en Orient" est à reléguer au rang des mythes orientaux dont l'Occident est friand depuis Voltaire faisant du gouvernement autocratique chinois un modèle de despotisme éclairé jusqu' à la Révolution culturelle tant admirée par certains de nos intellectuels...

(1) à noter que selon Stiglitz, l'impact de l'investissement contra-cyclique du gouvernement américain est affaibli de moitié du fait de ses structures fédérales... L'Europe sans doute également.

mercredi 2 septembre 2009

Le Lego, outil performant de pédagogie pour adultes.



Le lego évoque en général un jeu d’enfants composé de briques élémentaires de couleurs vives à assembler. Saviez –vous que c’est une invention danoise? Le nom de la société fut créé par Ole Kirk Christiansen en 1934, à partir des mots du danois leg godt, signifiant «joue bien» (et non pas du latin comme on pourrait le faire supposer !) Charpentier à l’origine, il se mit à fabriquer des jouets en pièces détachées pour réduire les coûts. En 1949, il commença à produire ce qui a fait son succès mondial : des jouets modulaires composés de briques en plastique à « plots ». Ces éléments étaient révolutionnaires comme souvent les idées simples car ils pouvaient être assemblés et verrouillés ensemble et désassemblés tout aussi facilement.

Dans les années 60, s’apercevant que les éducateurs utilisaient le lego pour développer la créativité et la capacité à résoudre des problèmes, la société créa un département spécifique Lego Dacta. Fort de ces expériences, avec l’aide de la Business School de Lausanne, elle a peaufinée une nouvelle méthode Lego Serious play qui s’est adressée ces dernières années avec de plus en plus de succès au marché de la formation professionnelle.

Elle rencontre ainsi un fort courant pédagogique qui s’est renforcé récemment en faveur des méthodes ludiques dans l’enseignement des adultes et non plus seulement des enfants.

«Le jeu est un des seuls outils qui permettent de toucher à l'émotionnel, indispensable pour accompagner un processus de changement : projets complexes, transversaux..., estime Chantal Barthélemy-Ruiz, professeur en sciences du jeu à l'université Paris-Nord. Il fait sauter des blocages irrationnels, aide le salarié à prendre confiance en lui.»

Les essais sont moins pénibles et l'échec moins grave. Les joueurs sont plus créatifs que dans leur quotidien de travail. Pour ressouder les équipes commerciales, encourager à faire usage de son imagination ou inciter à ranger son bureau, pour créer de la cohésion et lever les non–dits, rien de mieux que la construction de projets en Lego. Il est en un révélateur puissant du mode de fonctionnement d’une équipe ou d’un service.

«Il s'agit de faire passer des messages qu'on ne peut transmettre par la parole, analyse Gérard Foy, consultant indépendant spécialisé dans le jeu. Alors que les discours ne s'adressent qu'au cognitif, le jeu en appelle, par la manipulation d'objets, au sensoriel, à l'engagement du joueur, à son vécu : le salarié est actif lors de son apprentissage, meilleur moyen de mémoriser l'information.»

Gadget? Au pays de Descartes, le jeu a encore du mal à être pris au sérieux, à la différence des Etats-Unis et de l'Allemagne, où le Lego est fort répandu.

Cependant des entreprises aussi différentes que la SNCF, Shell ou Cap Gemini Ernst & Young ont fait appel au Lego serious play depuis plusieurs années et font « plancher » les cadres sur les fusions-acquisitions à venir, sur le bouclage d'un prochain business plan, la restructuration des réseaux…

«Il subsiste en France l'idée qu'on doit apprendre en souffrant. Que le jeu et le travail s'opposent, analyse Chantal Barthélemy-Ruiz. On oublie que les puzzles servent depuis longtemps à enseigner la géographie et que, dans l'Antiquité, on s'appuyait déjà sur les jeux de cartes pour divulguer les connaissances...»

Et pourtant n’est–ce pas Descartes qui, dans son fameux « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison » stipulait qu’il fallait établir « un ordre de pensées, en commençant par les plus simples jusqu'aux plus complexes et diverses, et ainsi de les retenir toutes et en ordre » ?

Pour en savoir plus, consultez le dossier de la prochaine formation Un Soir Un Jour « Vivre le leadership et le management multiculturel avec LEGO » ici.