Maurice Thévenet, lors de sa conférence donnée à la dernière Convention RH de Groupama, consacrée à la gestion de crise, déclarait avec beaucoup de bon sens qu'un lieu commun des discours sur le management est de gloser sur la capacité d'adaptation des Chinois en énonçant que "crise" en chinois signifie "opportunité" ce que personne ne peut en général vérifier !
Qu'en est -il exactement ?
Comme bien souvent en chinois, les noms communs sont composés de deux caractères. Crise en pin-yin se dit "wei-ji".
Le premier caractère wei a le sens de danger.
Le second caractère ji a plusieurs sens :
1. machine
2. avion
3. occasion / chance
On peut raisonnablement éliminer les deux premiers sens ! Le mot "crise" en chinois est donc composé de la juxtaposition des deux caractères danger et occasion/chance. Cet idéogramme ne signifie pas non plus "opportunité", ce dernier mot s'écrivant différemment. Seule une forme du mot opportunité comporte le même caractère chance, aucune ne comporte le sinogramme danger.
Revenons donc au mot crise. Comment interpréter cette juxtaposition ? L'ordre chinois des caractères est déterminant. ll faut donc comprendre cette juxtaposition dans le mot crise comme étant une occasion (chance au sens anglais) d'un danger, en clair la survenance, l'occurrence d'un danger, mais aucunement le danger qui se transforme miraculeusement en chance !
Au contresens linguistique chinois s'ajoute donc pour les Français un autre contresens en anglais car le mot y est neutre et a le sens de hasard, possibilité.
La métaphore était jolie mais, bien que largement colportée, elle ne tient pas l'analyse linguistique. Elle semble faire partie des "belles histoires" qui se propagent dans les séminaires de politique ou de management multiculturels... Comme le signale le Washington Post après un discours de Condoleezza Rice au Proche-Orient : Victor H. Mair, a professor of Chinese at the University of Pennsylvania, has written on the Web site http://pinyin.info, a guide to the Chinese language, that "a whole industry of pundits and therapists has grown up around this one grossly inaccurate formulation." He said the character "ji" actually means "incipient moment" or a "crucial point."Thus, he said, a "wei-ji "is indeed a genuine crisis, a dangerous moment, a time when things start to go awry."
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/01/18/AR2007011801881.html
Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que l'interprétation positive est d'autant plus crédible qu'elle est conforme aux stéréotypes que l'on se fait des Chinois. On les imagine volontiers comme des êtres indifférents à l'adversité, capables d'une grande souplesse et de rebondissements grâce au Ying et au Yang... par rapport à nous autres pauvres occidentaux, rigidifiés et culpabilisés par 2000 ans de dogme judéo-chrétien. Crise = douleur et punition chez nous !
Si la Chine sort renforcée sur la scène internationale à l'issue de cette crise (ce qui reste à prouver), ce sera probablement plus pour des raisons liées à la politique économique volontariste puissante de ses pouvoirs publics, donc à l'ampleur des moyens financiers mis en jeu (1) que par une quelconque prédisposition culturelle à transformer toute crise en opportunité.
"Crise = opportunité en Orient" est à reléguer au rang des mythes orientaux dont l'Occident est friand depuis Voltaire faisant du gouvernement autocratique chinois un modèle de despotisme éclairé jusqu' à la Révolution culturelle tant admirée par certains de nos intellectuels...
(1) à noter que selon Stiglitz, l'impact de l'investissement contra-cyclique du gouvernement américain est affaibli de moitié du fait de ses structures fédérales... L'Europe sans doute également.
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